Lomé au Togo durant la période coloniale

Lomé – Togo : L’Incroyable Histoire d’une Capitale Africaine

Certaines villes dans le monde ont une histoire tout à fait romanesque et Lomé en fait partie. Rien ne prédisait qu’un petit bout de plage aux rives hostiles allait influencer l’histoire de tout un pays. Mais pour comprendre cette ascension, il faut remonter dans le temps. Comment est née Lomé ? Comment est-elle devenue une capitale africaine ? Nous allons nous intéresser aux différents événements qui ont conduit Lomé au sommet. Retour sur cette histoire hors-du-commun, digne d’un grand film historique.    

L’audace des villageois 

En 1874, la Gold Coast (actuel Ghana) est colonisée par les Britanniques. Les exportations de matières premières agricoles leur étaient profitables, mais les importations l’étaient bien plus. Pour financer l’administration coloniale, les Britanniques imposent de lourdes taxes sur les produits importés, notamment l’alcool et le tabac. La population n’approuvant pas cette imposition a contourné le problème. Les commerçants traversaient la frontière pour se rendre à Denu. À cette époque, Denu était un espace n’appartenant à personne, il s’agissait seulement d’un entrepôt commercial. 

En 1879, voyant que les recettes fiscales diminuent, le gouverneur Ussher (avec l’accord de Sa Majesté) a décidé d’annexer Denu à la Gold-Coast pour régler le problème. Les accords passés avec les différents chefs de village auraient dû colmater la fuite des taxes. Seulement, dans la plus grande discrétion, les commerçants ont continué de négocier leurs produits à l’extérieur de la juridiction coloniale. 

À quelques miles de la frontière, un hangar est aménagé sur une plage pour devenir un point de vente et ainsi construire un nouveau “Denu”. En 1880, connue sous le nom de Bey-Beach, Lomé est née. L’administration britannique n’a compris son existence qu’en décembre 1880. 

Lomé n’est donc ni une ville descendante des villages traditionnels togolais, ni une création urbaine coloniale. Lomé est une ville créée par des marchands africains et européens voulant fuir les taxes britanniques. Maintenant, reste à savoir comment Lomé est devenue capitale. 

La politique anglaise au coeur des tensions  

Les désaccords entre Accra et Londres 

La naissance de Lomé coïncide parfaitement avec le calendrier électoral du Royaume de Grande-Bretagne et d’Irlande. En effet, avant les élections d’avril 1880, Disraeli, fervent défenseur de l’impérialisme britannique, envisage d’acquérir le littoral africain d’Accra jusqu’à Lagos. Cependant son successeur Goldstade promeut une nouvelle politique plus pacifiste et refuse l’expansion coloniale. 

Du coup, le gouverneur Ussher qui adhérait à la politique de Disraeli essuie de nombreux refus concernant l’annexion de Lomé. Son successeur, Sir Samuel Rowe, inaugure son poste en retravaillant tous les dossiers d’Ussher et fait le même constat. Lomé fait perdre énormément d’argent à la colonie et il faut la rattacher à la Gold Coast. Tout comme son prédécesseur, toutes ses demandes d’annexion sont refusées.     

À partir de ce moment-là, Rowe a compris que l’évasion fiscale de sa colonie ne sera pas résolue avec l’accord de Londres. Il faudra agir autrement et Rowe soutiendra toutes actions pouvant nuire au développement commercial extra-territorial.

Aného, source de conflits franco-britanniques

Aného est une grande ville située à une cinquantaine de kilomètres de Lomé. Les Français sont très intéressés par cette agglomération dont le port est bien plus dynamique que celui de Lomé. Seulement, la situation est très particulière. Aného abrite deux clans rivaux, les Lawsons et les Adigos. Les Lawsons sont anglophiles et soutiennent l’administration d’Accra. Les Adigos, quant à eux, refusent la domination britannique. 

Après l’annexion de Denu et des villages voisins, les Adigos craignent de nouveaux rattachements à la Gold Coast. Discutant avec un délégué commercial français, ce dernier leur suggère de solliciter l’aide de la France. C’est alors qu’en août 1881 qu’ils font appel à la France demandant son protectorat. Quand les Lawsons ont su la démarche des Adigos, ils ont fait de même envoyant leur demande à Accra. 

Entre 1881 et 1883, les deux puissances coloniales restent silencieuses aux demandes de protectorat. Londres interdit toujours toute extension de la Gold Coast et Paris mène une politique de “recueillement” qui gèle son développement colonial. 

En juillet 1883, Jules Ferry finit par accepter la demande de protectorat des Adigos. À partir de ce moment-là, les Anglais vont contester la position des Français. Après tout, eux aussi, ils ont reçu une demande de protectorat. Qui en a fait  la demande le premier ? Quelle demande est plus légitime que l’autre ? Ce ping-pong diplomatique va durer un certain temps sans faire bouger les choses, ni même atténuer les conflits. 

Deux facteurs déclencheurs complètement inattendus 

L’intervention de l’Allemagne 

À cette époque, l’Allemagne n’a pas d’ambition coloniale, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle endosse le rôle d’arbitre pour la future conférence de Berlin en 1885 au sujet des colonies. Cependant les commerçants de Brême et Hambourg avertissent Bismarck de leurs inquiétudes concernant leurs affaires dans le Golfe de Guinée. Les troubles à Aného leur portent préjudices et la tournure devient inquiétante. 

Sans attendre, Bismarck envoie un navire de guerre à Aného et les troupes germaniques débarquent le 3 février 1884. Les Allemands font prisonniers des deux chefs de clans Lawsons et demandent le statu quo. Pour être sûre que leur demande est prise au sérieux, les deux prisonniers repartent avec les troupes du capitaine Stubenrauch en Allemagne. 

Stupéfaits par l’efficacité des Allemands, les Adigos émettent, le 5 mars 1884, une demande de protection à l’Allemagne. Berlin refuse aussitôt. Bismarck veut éviter un conflit avec la France et ne cesse de le rappeler pour l’expédition suivante. En mai 1884, Nachtigal, grand explorateur, est missionné pour signer des traités de protectorat avec le Cameroun et la Namibie, ramener les prisonniers et vérifier si le statu quo a bien été respecté à Aného. 

L’ultime menace anglaise envers Lomé et Baguida

Le 29 mars 1884, le gouverneur Young succède à Rowe et le dossier de Lomé est remis sur le tapis. Après examen de la situation, Young soutient les positions d’Ussher et Rowe, il faut annexer Lomé à la Gold Coast. Le 29 avril, il envoie sa demande auprès des autorités anglaises compétentes et attend leur réponse. Il attend un petit peu, car en réalité, il agit sans l’accord du Colonial Office qui ne répondra que le 11 juillet par la négative. 

Effectivement, le 6 juin, Young demande au chef de district de Keta, Firminger, d’aller à Lomé accompagné de 30 gendarmes pour poser un ultimatum. Du 18 au 23 juin, Firminger s’adresse aux différents chefs locaux pour leur faire promettre d’expulser les marchands étrangers de Lomé et Baguida. S’ils refusent, ils seront rattachés à la colonie anglaise d’ici la fin juillet. 

Le 3 juillet, Firminger rentre à Keta et rédige un rapport où tout indique que l’annexion de Lomé et Baguida est proche. Ce même jour, l’explorateur allemand, Nachtigal se trouve à Aného pour vérifier le respect du statu quo et expliquer aux Adigos le refus de protectorat de la part de Bismarck. 

Nachtigal refuse de protéger les Adigos à contre-coeur. Lui-même disait à Bismarck qu’il serait intéressant d’avoir une colonie pour mieux gérer les litiges des autres puissances avec leurs conquêtes. Comment résoudre les problèmes des autres si nous ne les avons pas vécus nous-même ? Telle était la position de Nachtigal, mais les ordres de Berlin sont clairs. On ne touche pas à Aného. 

Pourtant, un imprévu de taille va arriver. Venus de Lomé et Baguida, les commerçants allemands et leurs associés africains demandent immédiatement la protection de l’Allemagne contre les menaces proférées par les Anglais. Nachtigal est tout d’abord surpris. Il ne savait pas du tout ce qu’il se passait à Lomé ou Baguida et en même temps, il a vu une opportunité à ne pas manquer. Bismarck ne voulait pas protéger Aného mais, il n’a jamais rien dit concernant Lomé et Baguida. D’autant plus que les intérêts de ses compatriotes sont en danger. 

Le 5 juillet, Nachtigal se rend à Baguida pour signer les accords et le 6 juillet, à Lomé pour en faire autant. A la fin de journée, le drapeau allemand flotte à la frontière de la Gold Coast et ainsi est né le Togoland. Lomé devient donc juridiquement la première capitale du Togo en y plaçant le premier consul provisoire, le commerçant Randad. 

Lomé, la capitale politique et économique 

Découverte du Togoland par les Allemands

L’Allemagne, qui n’a pas pour objectif d’être une puissance coloniale, finit par avoir le Togoland dans un parcours de circonstances complètement inouïes. Quitte à posséder une colonie, Berlin décide de faire du Togo, une colonie modèle pour toutes les autres. 

Lomé était convoité par les Anglais, certes, mais les autres ports comme Aného, Porto Novo … étaient de rudes concurrents. Lomé constituait un pôle d’importation et de redistribution alors que les autres ports étaient excédentaires. La jeunesse de la ville n’attirait que les commerçants, même si les Allemands ont rapidement détecté le potentiel économique à exploiter.

Entre 1885 et 1904, le siège de la capitale a changé à plusieurs reprises. Au départ, le commissaire impérial, Ernst Falkenthal, s’est installé à Baguida dont la position centrale répondait à des questions pratiques. Par la suite, le pôle décisionnel allemand s’est déplacé aux alentours d’Aného, sur le plateau de Zébé, en 1887. En effet, des accords franco-allemands ont permis de céder Aného (connu sous le nom de Petit Popo) aux nouveaux colons en échange de droits dans la région de Conakry aux Français. 

Entre 1888 et 1899, les Allemands sont partis à la conquête de l’hinterland togolais. C’est durant cette période que le pays a délimité ses premières frontières vers le nord formant un grand rectangle. Le pouvoir allemand est convaincu que la porte d’entrée vers le Nord est à Lomé et le siège du Reich y est de nouveau transféré en 1897. 

L’essor de Lomé et la construction des réseaux

Avant le protectorat allemand, Lomé était déjà reliée par un axe de communication avec la vallée de la Volta (1882-1883). De 1894 à 1895, l’Administration de Berlin construit la première vraie route depuis Lomé à Kpalimé. Cependant, c’est à partir de 1904 que tout va changer pour Lomé. 

Pour dynamiser le port loméen, un équipement indispensable lui manquait pour faire de l’ombre à ses concurrents : un wharf. Après la construction de ce quai, le 27 janvier 1904, le port d’Aného est impacté de manière fulgurante. En 1905, il n’accueille plus la marine marchande et en 1909, le port est fermé pour le cabotage local. Désormais, tout passe par Lomé.

Lomé, l'incroyable ascension d'une capitale africaine
Alors que Lomé était un pôle d’importation et de redistribution vers l’hinterland togolais, le wharf construit en 1904 va lui donner l’impulsion nécessaire pour devenir un port incontournable de l’Afrique de l’Ouest.

Dès la mise en place du wharf en 1904, il est exploité pour développer le réseau ferroviaire. L’objectif de l’Allemagne est de structurer le “Togo utile”, c’est-à-dire, le territoire dont le potentiel économique est important en termes d’exportation, en direction de Lomé. 

  • 1904 – 1905 : construction de la ligne Lomé-Aného 
  • 1905 – 1907 : mise en place des voies ferrées vers Kpalimé 
  • 1908 – 1911 : installation de la ligne vers Atakpamé

D’autres lignes ferroviaires sont en projet vers Ho, Tokpli, Le Grand Nord, mais par manque de moyens financiers, ces derniers sont mis de côté. En parallèle, les routes se déploient et les réseaux de communication se forment, notamment les services postaux, le télégraphe et la téléphonie. Une fois les transports terrestres mis en place, l’administration du Reich mène une grande politique agricole en multipliant les plantations comme le maïs, la noix de coco … L’ensemble de ces dispositifs ont permis de lancer l’économie togolaise et de qualifier Lomé de capitale politique et économique. 

Finalement, nous pouvons remarquer que l’histoire de Lomé est une succession de hasards. Sans l’annexion de Denu, Bey-Beach ne serait jamais devenu Lomé. Sans le changement de Premier Ministre en Grande-Bretagne, Lomé serait déjà rattachée à la Gold Coast. Sans l’impatience du gouverneur Young, Nachtigal n’aurait jamais eu l’opportunité de protéger la future capitale togolaise et le Reich, jamais mis en place la politique de la “colonie-modèle”. Il est certain qu’avec des “si”, nous pouvons refaire le monde. Ceci dit, il est indéniable que la ville loméenne est un imprévu devenu une évidence.  

Sources : 

Le Togo sous domination coloniale (1884-1960) – Université du Bénin à Lomé – Sous la direction du Professeur GAYIBOR – Dans ce lien, vous y verrez l’histoire très détaillée du Togo pendant sa période coloniale. Agrémentée de nombreuses photos et cartes, vous pourrez alors visualiser en partie l’évolution du Togo.

La naissance d’une capitale africaine : Lomé par Yves MARGUERAT – Site : Persee.fr – Ce lien vous permettra d’accéder aux premières cartes de Lomé, ainsi qu’à de nombreux extraits des rapports des gouverneurs d’Accra. Il faut savoir que les archives britanniques sont les seules sources d’information expliquant la naissance de la future capitale togolaise.

Lomé entre la terre et la mer  – UN SIÈCLE D’IMAGES – VOLUME 1 – ARCHIVES NATIONALES DU TOGO – Ce lien ravira les amateurs de photos d’archives. En collaboration avec Yves MARGUERAT, cet album trace un siècle d’histoire loméenne.

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